Clémence Roth, peintre dionysienne, et les femmes artistes

Si on vous demandait de citer une femme peintre, quelle serait votre réponse ?!

La peinture apparaît trop souvent comme un monde très masculin, et ce sont plutôt les noms de David, Michel-Ange, Rafael, Van Gogh, Monet ou Manet qui traversent l’esprit de nombre de ceux qui souhaitent citer un peintre célèbre.
Pourtant, les femmes peintres existent et gagnent à être connues ! Elles sont souvent éclipsées par leurs homologues masculins, non pas parce qu’elles sont moins talentueuses ou innovantes mais parce qu’elles ont dû affronter de nombreux obstacles, selon les époques.

N’ayant pas toujours eu la même facilité d’accès aux différentes institutions artistiques et bien souvent mises à l’écart par les historiens de l’art, elles sont moins représentées que leurs homologues masculins dans les collections de musées, les expositions et les ouvrages d’art.

L’Académie royale de Peinture et de Sculpture par exemple, fondée en 1648, n’a admis que 15 femmes artistes entre 1663 et 1793. De plus, celles-ci n’avaient pas le droit d’assister aux cours d’après modèle vivant – lequel pose nu – leçons pourtant fondamentales dans l’enseignement promu par l’Académie, ni de concourir aux grands prix. Elles n’ont bien évidemment jamais eu accès aux postes de responsabilité (encadrement, enseignement, etc…).

A la Révolution, période durant laquelle on pourrait croire que la situation des femmes artistes se serait améliorée, la citoyenneté n’était même pas accordée aux femmes. Aucun droit politique ne leur a été accordé, rendant leur accès à l’École des Beaux-arts impossible (Sous l’Empire, l’École académique et l’Académie d’architecture fusionnent en une seule institution, donnant naissance à l’École des Beaux-Arts).

Les femmes artistes doivent patienter jusqu’en 1896 pour être autorisées à étudier à l’École des Beaux-Arts. La première femme ayant gagné un prix au concours de Rome était Fernande Cormier en 1919 ! Que le chemin fut long pour ces femmes artistes…!

Avant que ces femmes n’accèdent à une éducation artistique officielle, elles étaient souvent issues d’une famille de peintres, et ne pouvaient prétendre qu’à une éducation artistique dans des ateliers privés.

Quelques exemples de femmes peintres

Il y eut bien sûr des femmes artistes qui parvinrent à braver ces difficultés et dont le nom et l’œuvre nous sont parvenus.

 

Artemisia Gentileschi est une femme peintre du XVIIème siècle, formée très jeune auprès de son père Orazio. Peintre extraordinaire, elle ne se cantonna pas aux genres dits inférieurs que sont le portrait ou la nature morte – comme c’était habituellement le cas à l’époque pour les femmes – mais embrassa la peinture d’histoire, de mythologie, de religion, les genres suprêmes dans la hiérarchie picturale de l’Académie, rompant avec un destin trop prévisible. Elle travailla pour des mécènes prestigieux tel que le Grand-duc Cosme II de Médicis et Michelangelo Buonarroti le Jeune, petit neveu de Michel-Ange.

 

La peintre Rosalba Carriera, quant à elle, est née à Venise à la fin du XVIIème siècle. Pastelliste renommée, elle fut admise à l’Académie de Rome. Elle arriva à paris en 1720 pour séjourner à l’Académie pendant un an, avec l’appui financier d’un riche mécène. Rosalba Carriera apporta avec elle en France la technique du pastel ! Pour l’Académie, son arrivée permis de renforcer le rayonnement international de l’institution tant la renommée de l’artiste était grande dans toute l’Europe grâce à ses portraits plaisants et raffinés aux tons délicats.
Pendant son séjour à Paris, elle fit par exemple le portrait de Louis XV le Dauphin. Sa carrière fut longue et prolifique. Son exemple a ouvert la voie aux femmes peintres au sein de l’Académie.

 

Un autre exemple est Rosa Bonheur, une femme peintre du XIXème siècle (1822-1899). Issue d’une famille d’artistes, son père étant lui-même peintre, elle fut formée très jeune à la peinture. Très tôt, elle commença à gagner sa vie grâce aux copies d’œuvres de maîtres, au Louvre. Rosa Bonheur devint une peintre animalière célèbre car elle représentait des animaux dans des formats de peinture d’histoire. Chevaux, chiens, vaches, moutons ou animaux sauvages furent ses sujets de prédilection.

Pour mieux étudier ses sujets, elle n’hésita pas à se rendre sur les foires et observa le travail dans les champs. Elle fréquenta même des abattoirs pour mieux comprendre l’anatomie des animaux. Elle pratiqua un style réaliste pour présenter les travaux des champs et la vie rurale en France.
Elle connut ses premiers succès au Salon en 1840 et en 1848 et obtint la médaille d’or, ce qui lui valut une commande de l’État, Le Labourage nivernais. Elle fut la première femme à recevoir la légion d’honneur pour fait artistique, des propres mains de l’Impératrice Eugénie qui la décora.

Son œuvre connut un grand succès en Angleterre et aux États-Unis. Sa production artistique est considérable, comptant près de 2000 œuvres répertoriées. Rosa Bonheur a pu, grâce à son travail, s’offrir un château près de la forêt de Fontainebleau, fait assez exceptionnel pour l’époque. Elle reste connue dans l’histoire non seulement pour son talent de peintre mais aussi pour son fort tempérament, sa virtuosité et son dynamisme. Sa célébrité a ouvert la voie à l’émancipation des femmes artistes.

 

Ce sont-là quelques exemples de femmes peintres parmi tant d’autres…

Une artiste dionysienne : Clémence Roth

Clémence Roth naquit en 1853 à Saint-Denis, et épousa Edmond Roth de vingt ans son aîné. Veuve à 25 ans, elle consacra ensuite entièrement sa vie à l’art de la peinture. Elle se forma auprès d’Alfred Stevens. Clémence Roth parvint à se faire une place dans le monde très masculin de la peinture en exposant en 1880 au Salon, où elle se fit remarquer pour la qualité de ses portraits de femmes et remporta une mention honorable. En 1882, elle obtint une médaille d’or à l’exposition générale des Beaux-arts d’Anvers, et en 1889 une médaille de bronze à l’Exposition Universelle de Paris.
De nombreuses femmes de la société parisienne venaient se faire portraiturer dans son atelier situé rue Turgot, à Paris.

L’artiste mit en scène la plupart du temps les personnages qu’elle représentait sur des fonds monochromes, jouant avec la couleur du fond pour faire ressortir les visages. Le traitement des figures était rendu par la simplification des formes et elle soulignait les traits des modèles, mettant en valeur les expressions des visages avec un dessin précis et une palette claire et lumineuse.

Un de ses portraits, non celui d’une femme mais d’une petite fille (sa propre fille) fut reproduit en première page de l’hebdomadaire Paris Illustré n°37, paru le 5 septembre 1888. L’attitude mélancolique, pensive et rêveuse de l’enfant confère un charme universel au portrait.

Paris Illustré, n°37, 5 septembre 1888

Paris Illustré, n°37, 5 septembre 1888

 

Quelques œuvres des collections

 

Le musée d’art et d’histoire Paul Eluard conserve une dizaine de toiles de Clémence Roth. Celles-ci sont assez représentatives du travail de la peintre. Ce sont principalement des portraits : représentations de femmes, d’enfants ou de femmes posant avec enfants.

Clémence Roth, Portrait d'une femme avec deux enfants © I. Andréani

Clémence Roth, Portrait d’une femme avec deux enfants © I. Andréani

Ce portrait de femme entourée de deux enfants est caractéristique du travail de Clémence Roth. Elle représente souvent en effet les personnes sur des fonds monochromes, en jouant avec la couleur du fond pour faire ressortir les visages. Le traitement des figures se fait par la simplification des formes, en soulignant les traits des modèles et mettant en valeur les expressions des visages.
Elle use ici d’une composition triangulaire pyramidale classique, jouant des différentes positions des personnages représentés de face, debout ou assis. Elle reste classique dans la mise en espace des personnages : la mère se tient assise au centre, tandis que la fillette debout est appuyée contre sa jambe. Le bébé assis par terre est retenu par sa main droite, dans un geste maternel. Clémence Roth a pu être influencée par l’art du portrait tel qu’il était pratiqué en Grande-Bretagne où l’individu apparaît sur un fond neutre. Mais rien chez elle ne rappelle l’idéalisation du début du siècle, tendant plutôt vers le naturalisme.

 

Clémence Roth, Jeanne et Eugène © I. Andréani

Clémence Roth, Jeanne et Eugène © I. Andréani

Voici un autre portrait d’une petite fille et d’un petit garçon à mi-corps, de face, côte à côte sur fond noir. Clémence Roth respecte ici les mêmes principes que dans le portrait précédent.

Clémence Roth, Étude d'enfant © I. Andréani

Clémence Roth, Étude d’enfant © I. Andréani

Sur ce tableau, Clémence Roth ne figure pas l’enfant dans un intérieur bourgeois, entouré de bibelots comme on peut le voir habituellement. Elle s’attache, comme pour les adultes, à la seule représentation de la personne. L’enfant est ici figuré de profil, en buste, sur un fond monochrome gris. Son visage à la peau claire et ses cheveux blonds se détachent du fond. Contrairement à la technique qu’elle utilise en peinture, elle structure ici le portrait à l’aide d’un jeu de hachures disposé sur la chevelure et la blouse de l’enfant donnant du volume et du relief au sujet. Il s’agit sans doute d’un portrait commandé par la famille pour garder le souvenir de l’être aimé.

 

 

Comme dans bien d’autres domaines, le chemin ne fut pas facile pour les femmes peintres. Celles-ci, courageuses et persévérantes, ont réussi à se faire une place.

Les musées et centres d’art veillent peu à peu à rendre plus visible le travail des artistes femmes longtemps passé sous silence. L’association Aware développe des initiatives veillant à replacer les femmes artistes du XXème siècle dans l’histoire de l’art. Quant au musée d’art et d’histoire Paul Eluard, il participe du Pôle des patrimoines et des matrimoines de la Ville de Saint-Denis, dont le nom même traduit cette démarche.

Il arrive souvent que nous voyions des œuvres réalisées par des femmes sans en avoir conscience, comme Femme et enfant au balcon ou Le Berceau de Berthe Morisot. Jeune Fille en vert de Tamara de Lempicka est également une œuvre très célèbre. Les exemples foisonnent, il est temps de donner la place qu’elles méritent aux femmes artistes !

 

Et vous, quelles femmes artistes connaissez-vous ?

 

 

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