Après les femmes qui s’unissent le 11 avril sous les couleurs de la Commune, c’est au tour des artistes plasticiens, le 13 avril, de constituer un comité représentatif et de publier ses statuts. La Fédération des artistes est née.
« Gouvernement du monde des arts par les artistes »
Pour comprendre l’existence même de cette fédération et ses motivations, il faut revenir légèrement en arrière. Le marché de l’art est alors dominé par les Salons depuis le début du XIXè siècle, où s’exposent à Paris les artistes sélectionnés par un jury, dont le goût dominant est très académique et laisse peu de place aux innovations plastiques et thématiques. Pourtant, ils sont un passage obligé pour faire carrière et obtenir des commandes. Ce système, profondément élitiste et fondé sur un entre soi, ne peut tenir sous les feux insurrectionnels de la Commune.
Le 13 avril, plus de 400 artistes se réunissent au grand amphithéâtre de l’Ecole de médecine, à l’appel du peintre Gustave Courbet publié au Journal Officiel du 6 avril. Groupe hétérogène, allant des peintres en décor vivant souvent de peu aux figures réputées de l’avant-garde picturale, comme Edouard Manet qui sera élu sans être présent, une volonté commune s’érige pourtant au sein de cette communauté socialement très diverse : « confier aux artistes seuls la gestion de leurs intérêts » (« Assemblée des artistes », Journal Officiel, 15 avril 1871) et créer un « gouvernement du monde des arts par les artistes » (Le National, 16 avril 1871). La liberté esthétique et de goût est déclarée primordiale, l’école des beaux-arts est supprimée et la censure proscrite.
Un comité est alors créé et 47 membres sont élus le 17 avril. Parmi ces derniers, on trouve le sculpteur Dalou, le peintre Corot, ou encore le caricaturiste Daumier dont le Musée d’art et d’histoire Paul Eluard possède un important fonds. Certains sont issus des arts décoratifs et industriels, ou de la gravure. Courbet est élu président de la Fédération.
Le président Courbet
Fondateur du réalisme et opposant notoire à Napoléon III, Courbet est un artiste affirmé en 1871 et engagé dans un renouveau de la peinture et des arts en général. La Commune est l’occasion idéale pour mettre en œuvre ses préconisations. Principalement connu pour être à l’origine du déboulonnage de la colonne Vendôme, il a également impulsé un nouvel élan dans la gestion des institutions culturelles parisiennes, qui sera coupé net par la Semaine sanglante.
Sujet d’actualité, une des premières mesures prises par la Fédération est de rouvrir les musées : le musée du Louvre dès le 22 avril, le musée du Luxembourg (alors dédié aux artistes vivants) le 15 mai et le Muséum d’histoire naturelle le 17 mai. Les musées doivent servir à une éducation populaire à l’art et être accessibles à toutes et tous. Ils sont administrés par les artistes eux-mêmes, qui se chargent alors de réorganiser les collections et de protéger les œuvres en cas de bombardements versaillais et plus tard d’incendies pendant la Semaine sanglante.
Les artistes après la Commune
Malheureusement, la courte existence de la Fédération ne permet pas aux artistes de produire d’œuvres majeures pendant la Commune. Un concours est lancé le 21 mai, soit la veille de l’entrée des Versaillais dans Paris, pour un tableau ayant pour thème « Les citoyens anglais fraternisant avec la France par l’envoi, à la suite du siège, de secours au peuple de Paris ». Cet appel n’aura pas de suite.
Quelle portée aura la Fédération des artistes après la Commune ?
Comme nombre de Parisiens ayant participé de près ou de loin à l’insurrection, la plupart des membres de la fédération sont condamnés par les conseils de guerre du gouvernement Thiers, et doivent s’exiler. Ainsi, Eugène Pottier, dessinateur sur étoffes qui a par ailleurs connu la gloire pour avoir rédigé les paroles de L’Internationale, partit pour les Etats-Unis. Élu de la Commune, il fut également membre de la commission exécutive de la Fédération des artistes. Quant à Courbet, rendu personnellement responsable du déboulonnage de la colonne Vendôme, il fut emprisonné à Sainte-Pélagie et finit ses jours en Suisse.
Bien que les projets de la fédération, qui demandaient un temps long, n’aient pas pu aboutir, les concepts libertaires qu’elle prônait ont fait leur chemin. Dès les années 1880, le Salon n’est plus le monopole de l’Académie des beaux-arts, et d’autres manifestations autogérées par les artistes se développent. Les avant-gardes esthétiques, comme l’impressionnisme, prennent leur place.
Prochain épisode au 1er mai : dans la division et sous la menace des Versaillais, le Comité de salut public est créé. Pour le meilleur ?
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