Des œuvres, une couleur : Rouge

Le rouge est une couleur primaire intense, chargée de nombreux symboles ambivalents. Elle rappelle le feu, la chaleur et la force vitale mais aussi le sang et la violence, évoque la passion ou le danger.

Utilisée dès la préhistoire dans les peintures rupestres sous la forme de pigments à base d’ocre, elle devient au Moyen Age et à la Renaissance en Occident, synonyme de pouvoir, puissance et richesse. Dans la société civile, le rouge est l’apanage des princes, des marchands. La religion chrétienne attribue cette couleur aux vêtements du Christ et de la Vierge Marie, c’est aussi celle des hommes d’église comme les cardinaux.

On obtient cette teinte écarlate grâce aux plantes tinctoriales comme la garance puis grâce aux vertus colorantes de la cochenille, petit insecte d’Amérique du Sud.

À partir de la fin XVIIIème siècle, le rouge est synonyme de révolte prolétaire : rouge du bonnet phrygien arboré pendant la Révolution de 1789, drapeau rouge de la Commune de Paris de 1871, repris comme étendard des pays communistes au XXème siècle.

Plus proche de nous, dans la vie quotidienne, le rouge indique la fête, associé à Noël par exemple, mais aussi le spectacle : les rideaux des théâtres et les opéras en sont ornés.

Voyons comme, d’une œuvre à l’autre, cette couleur est utilisée pour sa beauté vibrante et fascinante et incarne une énergie pleine de tensions, parfois équivoques.

 

 

 

 

Laurent Guillot, Le vœu
XVIIIème siècle – Huile sur toile –   145 x 130 cm

 

Dans un décor d’église où prient des nonnes carmélites, un Sacré-Cœur écarlate et des angelots apparaissent au-dessus de l’autel paré d’un grand dais rouge, couleur de la Passion, de la foi et de la rédemption.

 

Le tableau figure deux détails singuliers : on remarque, en arrière-plan, la présence d’une jeune femme richement vêtue, agenouillée et les mains jointes, en prière. Au centre, un chérubin porte un livre ouvert sur lequel est inscrit  Vota mea Domino reddam  ( » J’accomplirai mes vœux au Seigneur  » en latin) et toute la vêture d’une novice carmélite (bure, discipline pour la pénitence par auto-flagellation) repose sur les marches du chœur.

 

Ce vœu raconté en image est celui fait par les religieuses de Saint-Denis au Cœur immaculé de Marie en 1769. À cette époque, le couvent est au bord de la ruine. La communauté, menacée de dispersion, fait une « neuvaine » (prières durant neuf jours) en signe de dévotion à la Vierge pour recevoir une novice capable de relever le carmel :  » Il nous faudrait au moins une fille de roi !  » aurait-on dit.

 

Le vœu est exaucé par l’arrivée au carmel de Louise Marie de France, dite Madame Louise, fille de Louis XV. La jeune fille pieuse du tableau est la princesse qui, malgré les réticences du Roi, prononce ses vœux en 1770. Par sa dot et son dévouement, elle redonne vie et aisance matérielle au couvent de Saint-Denis.

 

Cette toile est présentée dans le parcours permanent, dans l’oratoire reconstitué de Madame Louise. L’œuvre fait partie d’un cycle de peintures de Laurent Guillot qui dépeint l’histoire et la vie quotidienne des carmélites.

 

 

 

Drapeau du 143ème bataillon de la 10ème légion de la garde fédérée
Vers 1870 – Étamine de laine bordée de franges en métal doré – 115 x 111 cm

 

Sous la Commune il flotte encore / À la tête des bataillons / Et chaque barricade arbore / Ses longs plis taillés en haillons !

(Extrait de la chanson Le Drapeau Rouge par Paul Brousse, 1877).

 

Très peu d’exemplaires de drapeaux rouges sont conservés dans des collections publiques, celui-ci fut brandi par l’un des bataillons de la Garde nationale fédérée du Xème arrondissement de Paris, pendant la Commune de 1871.

 

Le drapeau rouge s’impose en France à partir de la Révolution de 1789 et jusqu’en 1871 comme symbole de la République Sociale, dressé contre des gouvernements jugés trop conservateurs. Sur les barricades de la Révolution de 1848, il est l’emblème des inégalités sociales subies par les artisans et ouvriers qui s’oppose au drapeau tricolore de la répression bourgeoise.

 

Pendant la Commune de Paris de 1871, le peuple en armes reprend cet étendard. Le drapeau du mouvement populaire révolutionnaire contre les nantis acquiert une valeur symbolique encore plus forte, trempé dans le sang des hommes morts pour défendre leur idéaux politiques et sociaux.

 

À partir du XXème siècle, le drapeau rouge est repris lors des révolutions socialistes et par les gouvernements communistes. Tout groupe militant s’arrogeant le drapeau écarlate s’affiche comme appartenant au prolétariat en lutte. Il est déployé lors de manifestations du 1er mai, de grèves ou de cérémonies de commémoration en l’honneur des fédérés de la Commune.

Vous pouvez lire l’article de l’écrivaine et mathématicienne Michèle Audin, inspiré par le drapeau conservé au musée !

 

 

 

 

Albert André (1869-1954), La copiste du Louvre
1898 – Huile sur papier marouflé sur toile – 73,5 x 60 cm (Dépôt du musée d’Orsay)

 

Dès ses débuts, la peinture d’Albert André  se démarque par une touche enlevée, des compositions aux tons vifs qui peuvent transformer le sujet le plus banal en spectacle pour les yeux. Alors qu’il aurait pu rallier le fauvisme, par son goût des couleurs franches et pures, Albert André ne veut pourtant pas renoncer aux notions de perspective et de modelé de la peinture traditionnelle, héritées de la Renaissance.

 

Toute sa carrière, Albert André se tient éloigné des préoccupations artistiques d’avant-garde, hermétique au cubisme, au surréalisme et à l’abstraction. Il est proche d’une esthétique défendue par le critique d’art communiste George Besson. Celui-ci prône une « authentique » peinture, figurative, claire et belle, par opposition au « dévergondage » de l’art, selon ses propres mots.

 

Vers 1898, à un tournant de son parcours,  La Copiste du Louvre trahit sa passion pour les teintes éclatantes, dont ce rouge chaud, mais aussi l’attention qu’il porte au clair-obscur et la manière de traiter la figure humaine, le modèle. Oscillant entre tradition et modernité, Albert André sait qu’il est à contre-courant mais il ne se renie jamais.

 

Ce peintre réaliste, ami de Renoir et de Signac, a peint plus de 3500 toiles dont la grande majorité a été vendue aux Etats-Unis par le marchand Durand-Ruel. Le musée d’art et d’histoire en conserve une centaine de ses œuvres, dans un ensemble très représentatif de son travail et ses inspirations.

 

 

 

 

Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923), La libératrice
1899 – Fusain, crayon de couleur et gouache sur papier – 140 x 100 cm

 

Ce dessin est une esquisse préparant l’affiche de lancement du journal Le Petit Sou, conçu comme un organe de « défense sociale ». En dessinateur de presse, Théophile-Alexandre Steinlen a le sens de l’image et de son impact dramatique : il construit une icône, allégorie drapée de rouge, qui libère le prolétariat de ses fers qu’elle brandit, pour appeler à la revendication.

 

Le bonnet phrygien dont elle est coiffée, aussi appelé « bonnet rouge » était déjà un symbole d’affranchissement des esclaves dans la Rome Antique. Il a ensuite été repris à la Révolution française et fait partie des attributs de Marianne.

 

À ses côtés, l’ouvrier à la pioche du premier plan rappelle la figure du bâtisseur-démolisseur qui fait partie de l’imaginaire du peuple promu par les dessinateurs anarchistes.

 

Steinlen utilisa le motif de la Libératrice à d’autres reprises pour symboliser l’idée d’une République sociale. Sous les traits de cette jeune femme émancipatrice, il fait allusion aux révoltes ouvrières, tout en dénonçant l’exploitation des couches défavorisées, attaquant l’armée, la justice, l’église ou le « capital » et la banque.

 

Originaire de Suisse mais figure incontournable de Montmartre où il vécut plus de 40 ans, Steinlen est un artiste engagé, sympathisant anarchiste et collaborateur régulier de la presse libertaire et socialiste révolutionnaire.

 

 

 

 

Collectif, Dada n°6
1920 – Imprimé – 37,1 x 27,5 cm

 

Le mouvement Dada naît à Zurich (Suisse), en 1916. Tristan Tzara, Marcel Duchamp ou encore Hans Arp font partie d’une jeune génération animée par un immense sentiment de révolte face au massacre de la Première guerre mondiale, qui s’insurge contre le conformisme bourgeois d’une société dont ils rejettent les valeurs traditionnelles.

 

Ils fondent une pratique artistique et littéraire basée sur l’absurde, refusant toute position dogmatique : même le nom « Dada » a délibérément été choisi au hasard pour que, justement, il ne signifie rien ! Ces formes d’expression volontairement provocatrices et extravagantes trouvent rapidement un écho en France auprès de nombreux artistes et écrivains, dont André Breton, Louis Aragon ou Paul Eluard.

 

La revue Dada, constitue l’un des documents les plus importants pour apprécier l’intelligence de cette mutation survenue dans le domaine de la littérature, de l’art et des idées. Elle contient, dans une mise en page révolutionnaire pour l’époque, des textes et des illustrations signés des noms les plus représentatifs de l’avant-garde européenne.

 

Ici, le choix du rouge interpelle celui qui regarde ! À l’utilisation de cette couleur flamboyante, s’ajoute le choix de lettres immenses en majuscule, posées par-dessus le texte comme un tampon qui censure ou valide. L’esthétique du document traduit ainsi cette volonté de renouveau et de provocation, si chère à Dada.

 

Dès la première page de ce sixième numéro, paru en 1920, on lit : « A priori c’est-à-dire les yeux / fermés, DADA place avant /l’action et au-dessus .de tout : / LE DOUTE. Dada doute de tout. / Dada est tatou. Tout est DADA. /Méfiez-vous de DADA./ Aa l’antiphilosophe ». Les Dadaïstes doutent de façon systématique sur le sens et la fonction de l’art, dénoncent la raison humaine et toute idée de beau en art avec une provocation souvent humoristique.

 

En effet, suit cet avertissement goguenard : VOUS NE COMPRENEZ PAS / N’EST-CE PAS CE QUE NOUS FAISONS. / EH BIEN CHERS AMIS NOUS LE COMPRENONS ENCORE MOINS. L’arme principale de Dada étant la négation et non l’affirmation d’un style, le mouvement finit par s’épuiser mais reste précurseur de nombreux courants littéraires et artistiques : surréalisme, pop art, art conceptuel

 

Fernand Léger (1881-1955), Le cirque ou la grande parade
1955 – Gouache sur papier – 39 x 50 cm

 

Acrobates, danseurs et clowns posent de manière frontale, sur un fond rouge qui rappelle les lourds rideaux de velours de la piste.

 

Spectateur assidu du cirque Fernando, plus tard Médrano, Fernand Léger peint des personnages dont les corps, comme « mécanisés », ont la même valeur que les objets et les décors. L’équilibre entre les lignes, les formes et les couleurs s’opère par ce fond uni et sans profondeur qui concentre la couleur, et des formes simplifiées puissamment cernées de noir. Fernand Léger dit d’ailleurs que « la couleur est libre dans l’espace et donne une structure aérienne aux mouvements des corps ».

 

Soucieux d’un art d’avant-garde accessible, Fernand Léger choisit de peindre la vie de ses contemporains : le monde ouvrier, les loisirs populaires… Le rouge évoque le monde du spectacle dans l’inconscient collectif. C’est le rouge du rideau de théâtre, celui des fauteuils de velours et du chapiteau du cirque qui va de ville de en ville. Les arts du cirque, le monde des « saltimbanques » et des arts populaires font d’ailleurs partie des sujets de prédilection de Fernand Léger.

 

Dans cette gouache réalisée l’année de sa mort, le thème du cirque se rattache à l’optimisme de son œuvre et reflète son engagement artistique et politique à la recherche d’un art compréhensible par tous.

 

 

 

 

Jean Effel (1908-1982), 1er mai unité de la classe ouvrière
1963 – Affiche imprimée – 78 x 59 cm

Jean Effel est un auteur de dessins de presse, publicitaires, humoristiques. Tout au long de sa très prolifique carrière, il publie également de nombreux albums satiriques ou poétiques qui ont connu un très large succès public. Sympathisant communiste, il travaille après-guerre pour de nombreux journaux proches de la ligne du Parti mais aussi pour la presse généraliste et des publications sans orientation politique.

 

Dans la variété de ses collaborations, Jean Effel s’est particulièrement attaché à populariser un symbole de la République : Marianne. Sous son bonnet phrygien rouge, des traits bon enfant ou gentiment moqueurs, l’héroïne de ses affiches véhicule des messages engagés sur la politique intérieure, européenne et mondiale de la France.

 

Historiquement, la date du 1er mai est une journée internationale de célébration des combats des travailleurs et des travailleuses pour leurs droits, instituée à la fin du XIXème siècle. Après avoir été dévoyé ou supprimé en Europe pendant la deuxième guerre mondiale par les gouvernements fasciste ou collaborationniste, le 1er mai est ré-institué jour chômé et payé en 1947. La fête du 1er mai est l’occasion de commémorations mais aussi de grandes manifestations de revendications et de solidarité internationale.

 

En 1963, date de l’affiche dessinée par Jean Effel, la France connait de grandes grèves de mineurs pour les salaires et les congés payés. Le Président Charles de Gaulle refuse la candidature du Royaume-Uni au marché commun. En pleine guerre froide, il adopte une stratégie de dissuasion nucléaire indépendante des Etats-Unis mais signe un traité d’amitié franco-allemand avec Konrad Adenauer, le Chancelier de république fédérale.

 

 

 

 

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