Pendant la Seconde Guerre mondiale, Paul Eluard (1895 – 1952), resté en France, participe à la vie littéraire et devient un acteur des cercles d’écrivains résistants parmi lesquels le Comité national des Écrivains, Les Lettres françaises, ou Les Éditions de Minuit.
Mobilisé en 1939 dans l’infanterie, il regagne Paris après la signature de l’Armistice en juin 1940. En 1942, il entre dans une semi-clandestinité et continue à publier sous les pseudonymes de Maurice Hervent ou Jean du Haut. Certains des poèmes qu’il rédige à cette période paraissent dans des revues, à l’instar du plus célèbre d’entre eux, Liberté, qui paraît sous son titre initial Une seule pensée en juin 1942 à Alger, dans la revue Fontaine créée par Max-Pol Fouchet (1913-1980).
La même année, Paul Eluard organise lui-même la diffusion de ce texte dans un recueil, bientôt suivi par d’autres, rassemblant ses poèmes des années de guerre. Le premier paraît à Paris en septembre 1942, aux éditions La Main à Plume, grâce à Noël Arnaud (1919-2003), directeur du groupe surréaliste éponyme. Intitulé Poésie et vérité 1942, il s’ouvre sur le poème Liberté, sous son titre définitif. Il est bientôt réédité à Alger (Collection Les Relais de Fontaine, Éditions de la Revue Fontaine, Alger, 1943), puis à Neuchâtel (Collection des Cahiers du Rhône n°9, Éditions de la Baconnière, Neuchâtel, 1943), et enfin à Bruxelles (Éditions Lumières, Bruxelles, novembre 1945), dans sa première édition illustrée, comprenant seize dessins au pinceau de Franz Sébastien.
Dignes de vivre est le deuxième recueil publié par Paul Eluard pendant la Seconde Guerre mondiale. Paru en 1944, il reprend le texte de la deuxième édition du recueil Poésie et Vérité 1942, à quelques variantes près : augmenté de quelques poèmes, L’Âne ayant été supprimé. Le volume, qui est pourtant la première publication sous ce titre, porte la mention nouvelle édition revue et augmentée, et est accompagné d’illustrations de Jean Fautrier, dont quatre dessins originaux, acquis par le musée.
A cette époque, Jean Fautrier (1898-1964), fuyant la Gestapo qui l’a arrêté puis relâché en janvier 1943, s’est réfugié à la Vallée-aux-Loups, à Châtenay-Malabry, sur les conseils de Jean Paulhan. L’ancienne demeure de Chateaubriand, acquise en 1914 par le Docteur Le Savoureux, médecin aliéniste, qui y installe sa clinique, lui procure logis et atelier. C’est aussi dans un hôpital psychiatrique que Paul Eluard trouvera refuge la même année, dans la clinique du Docteur Bonnafé à Saint-Alban-sur-Limagnole.
Dans les bois de la Vallée-aux-Loups, non loin de la maison qui abrite Fautrier, une clairière où nombre de prisonniers ont été fusillés par les Allemands. Fautrier a-t-il entendu les exécutions, comme on l’a souvent dit ? Probablement pas. Mais l’écho de la mort bruissait dans ces bois, où nombre de corps sans vie furent retrouvés. Hanté par ces événements – il évoque les « derniers moments pénibles » dans la dédicace de Dignes de vivre aux Le Savoureux, dont le volume est conservé au Musée du Domaine départemental de Sceaux – il réalise la série des Otages entre 1943 et 1945.
Dans les dessins, estampes, peintures et sculptures de cette série, des têtes sans corps ou sans visages racontent l’horreur de la guerre. Si la matérialité exacerbée des peintures faites d’empâtements a valu à leur auteur d’être considéré comme un précurseur de l’art informel, les dessins et certaines estampes de la série sont traités de façon très graphique.
Les quatre dessins acquis, comme les autres culs-de-lampe et illustrations de Dignes de vivre, s’inscrivent dans cette démarche. Ils présentent des visages réduits à l’essentiel, structurés par le contour du visage et l’arête du nez, dans une abstraction croissante. Bientôt, seul l’ovale du visage est encore suggéré : la barbarie nazie a emporté le reste.
En réaction à l’invasion de Budapest par les Soviétiques en 1956, Jean Fautrier reprendra le motif des Otages dans la série des Têtes de partisans, dont des œuvres comportent des vers du poème Liberté de Paul Eluard. Ce dernier lui consacrera le poème « A Fautrier » publié dans l’ouvrage Voir (Éditions des Trois Collines, Genève, Paris, 1948), qu’il consacre aux artistes qu’il admire et dont il collectionne souvent des œuvres. En 1947 paraît une nouvelle édition de Dignes de vivre (sans mention d’édition) illustrée de vingt bois gravés de l’artiste luxembourgeois Théo Kerg (1909-1993).
Quant au troisième et dernier recueil qu’Eluard publie pendant la guerre, il est intitulé Au rendez-vous allemand (1945 puis 1946) et n’est pas illustré.
Le musée d’art et d’histoire Paul Eluard de Saint-Denis a présenté, du 18 novembre 2016 au 27 février 2017, une exposition consacrée au poème Liberté, dont il conserve le manuscrit de premier jet : Autour de Liberté, Paul Eluard et Fernand Léger en dialogue. Deux exemplaires de l’édition de 1944 de Dignes de vivre y étaient présentés, accompagnés d’un dessin de la série des Otages de Fautrier provenant d’une collection privée, et reproduit au catalogue.
A l’occasion d’une vente publique en 2017, le musée a pu se porter acquéreur d’un ensemble exceptionnel de quatre dessins à l’encre et plume sur papier de Jean Fautrier, originaux des illustrations de l’édition de 1944 de Dignes de vivre, qui proviennent de la collection de Thérèse Marvaldi, l’une des compagnes de Fautrier, avec laquelle il vécut jusque peu après la naissance de son fils Dominique en 1946.
Ces dessins de dimensions modestes présentent cependant un intérêt majeur pour le fonds Paul Eluard car ils viennent enrichir et approfondir l’ensemble consacré à l’édition de Dignes de vivre illustrée par Fautrier dont le musée conserve deux exemplaires provenant de la collection du poète, éclairant l’œuvre commune de deux artistes engagés au cœur du second conflit mondial.
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