Pablo Picasso aimait la compagnie des poètes, il fut un grand ami de Max Jacob et de Guillaume Apollinaire avant de rencontrer Paul Eluard. Dotés de personnalités apparemment dissemblables, Picasso et Eluard tissèrent des liens d’amitié profonds, marqués par une admiration mutuelle. Picasso avait la réputation d’être aussi dur en amitié qu’en amour mais l’affection que les deux hommes se portèrent ne s’est jamais démentie, jusqu’à la mort du poète en 1952.
Paul Eluard et Pablo Picasso, chronologie d’une relation
Eluard et Picasso se connaissent depuis les années 1920. Les membres du groupe surréaliste, dont André Breton et Paul Eluard font partie, admirent l’avant-gardisme du peintre et le « courtisent » pour qu’il prenne part à leur mouvement littéraire et artistique. Picasso participe, sans toutefois se plier totalement à la discipline, parfois coercitive, du groupe. Au contraire, à partir de 1933, Picasso affirme une autorité artistique qui, déjà, n’a plus d’égale.
En 1935, Picasso connaît une crise personnelle : séparé d’Olga Kholkhova, il poursuit une relation avec Marie-Thérèse Walter et fait la rencontre de Dora Maar, artiste photographe politiquement engagée, sans doute par l’entremise de Paul Eluard dont elle était très proche.
C’est à cette période que Picasso se rapproche de Paul et Nusch Eluard, fidèles confidents de ses turpitudes amoureuses. Ainsi débute une longue période de collaboration professionnelle entre le peintre et le poète mais aussi une relation plus personnelle, faite d’estime et de respect réciproque.
Les étés dans le Sud, « vivants de vraie vie »
La sympathie fraternelle et l’émulation partagée par Picasso et Eluard sont telles qu’ils vont passer leurs vacances ensemble, dans le sud de la France. Pendant trois étés consécutifs, entre 1936 et 1938, ils s’installent dans un établissement modeste de Mougins – l’Hôtel Vaste Horizon – entourés de leurs proches et de leurs amis les plus intimes.
En 1936, alors que la guerre civile espagnole vient d’éclater, Paul et Nusch Eluard, revenant de l’Exposition internationale du surréalisme de Londres, rejoignent la Côte d’Azur. Les photographies réalisées par Dora Maar sont autant des instantanés montrant un groupe de camarades souriants, profitant de la plage, du soleil et des bains de mer, que des portraits artistiques en clair-obscur.
Man Ray tourne à cette occasion le film La Garoupe qui reste un témoignage exceptionnel de cette belle concorde amicale. Cette villégiature offre toutes les conditions du repos mais aussi d’une activité artistique intense et ininterrompue. Picasso réalise quelques portraits de Nusch, Dora et de Cécile, la fille de Gala et Paul Eluard. Quant à Eluard, il écrit, entre autres, « À Pablo Picasso », qui paraîtra dans le recueil Les Yeux fertiles.
En 1937, se rassemblent Paul et Nusch Eluard, Picasso et Dora Maar mais aussi Man Ray et sa compagne Adrienne Fidelin, mannequin et modèle, Roland Penrose et la femme qui partage à présent sa vie, la photographe Lee Miller. Là encore, de nombreuses photographies montrent le groupe d’amis dans leur quotidien joyeux, entre plage, terrasses de restaurant, randonnées et pique-nique, tentant de s’isoler un peu d’un monde en guerre par la gaité, l’humour, l’amour et la liberté de vivre la plus passionnée.
Cet été est aussi l’occasion pour Eluard et Picasso de partir explorer la région en quête d’inspiration, comme à Hauterives où, en compagnie de Dora Maar, ils visitent le Palais idéal du Facteur Cheval. Plus que de simples souvenir de vacances, le carnet de dessins que réalise Picasso ou encore la remarquable photographie de Dora Maar représentant les deux amis à l’entrée du « Palais imaginaire », symbolisent la communion teintée d’amusement qui unit Eluard et Picasso à cette période charnière de leur vie personnelle et artistique. Leur goût partagé pour l’art naïf et l’univers onirique, cher aux surréalistes, les rassemble et trouve un écho dans ce monument si singulier, rêvé par celui que Picasso nomme « notre frère qui n’êtes pas mort ».
Alors que la Seconde Guerre mondiale éclate, Paul Eluard se remémore dans une lettre adressée à Dora Maar, tous ces moments partagés comme « sublimes, chauds, vivants de vraie vie, tant de couleurs, de mouvement réel, de surprises ! ».
Pendant et après la guerre
En accord sur le plan esthétique, l’engagement politique commun d’Eluard et Picasso à partir de la Guerre d’Espagne scelle une amitié qui devient presque exclusive après la Libération. Mobilisé pendant la Seconde Guerre mondiale puis contraint de se cacher en province, Eluard ne rencontre son ami que de façon plus irrégulière dans son atelier rue des Grands-Augustins à Paris ou bien au Café Catalan ou au Café de Flore. Les obstacles ne les empêchent cependant pas de créer, de se consacrer des œuvres et de faire des projets communs. En 1942, le recueil Le Livre ouvert II de Paul Eluard s’ouvre par cette dédicace : « Par ton audace / tu prolonges notre vie, […]. C’est à toi / Pablo Picasso / mon ami sublime / que je dédie ce livre.»
En septembre 1944, dans un Paris libéré, une photographie prise dans l’atelier de Picasso montre des retrouvailles avec Eluard et Nusch, Lee Miller et Roland Penrose, Aragon et Elsa Triolet, fraîchement rapprochés par la résistance et l’engagement au Parti communiste.
Sur le plan personnel, Picasso est entré dans une phase funeste de sa relation déjà tumultueuse avec Dora Maar. Leur liaison s’est achevée en 1943, bien qu’ils se revoient épisodiquement jusqu’en 1946. Nusch Eluard décède brutalement, au mois de novembre de la même année, laissant Paul dans le désespoir le plus profond, dont ses amis peinent à le relever.
En 1947, après des mois de solitude, Eluard rend de fréquentes visites à Picasso, installé à Antibes avec l’artiste Françoise Gilot dont il a eu un premier enfant. Picasso travaille de manière quasi-frénétique dans les ateliers de céramique de Vallauris. L’énergie créatrice de son ami lui inspire le texte Picasso, bon maître de la liberté et le pousse, sans doute, dans son effort pour revivre après le deuil de celle qu’il aimait.
Les deux hommes poursuivent aussi la défense de leurs idéaux en participant en 1948 au Congrès mondial des intellectuels pour la paix à Wroclaw (Pologne), qui marque la naissance du Mouvement pour la paix. Au milieu de ce gratin de l’intelligentsia, le duo Picasso-Eluard s’isole, excédé par la propagande cynique des « intellectuels officiels » et la ligne du Parti.
Le Phénix
Eluard s’étourdit de voyages, de rencontres politiques et humaines pour ne pas sombrer dans la dépression. En 1949, au Congrès de la Paix de Mexico, il fait la connaissance d’Odette Lemort, dite Dominique. Il a un coup de foudre pour cette femme à la personnalité forte, mélange de nonchalance et de passion. Tous deux rentrent ensemble à Paris et se marient en 1951, à Saint-Tropez. Françoise Gilot et Pablo Picasso sont les témoins du mariage. Leur grand ami, Roland Penrose est lui aussi présent, avec son fils et son épouse Lee Miller. Photographe, elle est l’auteure des clichés où l’on voit Paul et Dominique, Pablo et Françoise aux côtés du Grand vase aux danseurs et musiciens, que Picasso leur offre à cette occasion.
Paul Eluard décède soudainement, à 57 ans, le 18 novembre 1952. Picasso, accompagné des amis et camarades du Parti communiste, veille le corps du poète et dessine ce jour-là une colombe portant l’inscription « Pour mon cher Paul Eluard », qui sera publiée dans Les Lettres françaises. Le 22 novembre, le poète est inhumé au cimetière du Père-Lachaise, dans le carré des communistes, loin de Nusch. Le gouvernement s’étant opposé à des funérailles nationales et à un cortège funèbre dans les rues de Paris, des milliers d’amis, de camarades et d’anonymes se rassemblent aux portes du cimetière pour rendre un dernier hommage à l’auteur de Liberté.
Les oraisons sont prononcées par Vercors (Jean Bruller), Louis Aragon, Laurent Casanova, André Delacour et Jean-Charles Gateau. Picasso, visiblement très affecté, assiste aux funérailles en compagnie de la fille d’Eluard, Cécile, et d’Elsa Triolet pour faire ses adieux à son grand ami disparu.
Découvrez, très prochainement l’exposition Pablo Picasso, Paul Eluard, une amitié sublime, en partenariat avec le Musée Picasso de Barcelone et le Musée national Picasso-Paris.
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