Un jour, une œuvre : La Seine à Gennevilliers (Eugène Delâtre)

Cette estampe représente un paysage crépusculaire d’un grand calme à Gennevilliers, où se reflètent dans la Seine les arbres de la rive sud, alors que celle au nord est déjà dans la pénombre. Le coucher de soleil offre un dernier halo lumineux derrière un bateau amarré possédant un long mât, dont on ne distingue qu’une silhouette remplie d’un noir profond.

La végétation apparaît vivante et détaillée grâce à une technique de gravure sur métal appelée eau-forte. Celle-ci consiste à dessiner les lignes de la composition à l’aide d’une pointe, sur une plaque de cuivre préparée puis vernis, et placée dans un bain avec un mordant (acide nitrique ou perchlorure de fer). La plaque est creusée là où le vernis a été enlevé par la pointe, faisant apparaître les motifs.

Quant à l’effet de contre-jour et de dégradé des nuances de noir, il est rendu possible grâce à une technique particulière de l’eau-forte, l’aquatinte. Elle permet de réaliser de grands aplats de couleur, comme ici au niveau du bateau, du fleuve ou du halo doré. L’aspect est légèrement granuleux, car le vernis est dit ici discontinu : l’estampeur saupoudre sur la plaque de la colophane (résine de pin), une substance collante fixée grâce à une chaleur douce. Une fois la plaque refroidie, elle est immergée dans un bain d’acide qui mord entre chaque point, ce qui crée un jeu de reliefs en apparence.

Pour obtenir une estampe, il faut encrer les plaques de cuivre, puis les disposer face gravée sur une feuille de papier et les passer sous une presse. Le dessin apparaît alors sur son nouveau support. Cette étape est reproductible, ce qui permet de réaliser plusieurs estampes avec une seule plaque.

La Seine à Gennevilliers est marquée par un style très en vogue depuis les années 1890, le style japonisant. Ce fut une inspiration très importante en Occident, rendue possible par le contact direct avec le Japon. On la retrouve ici dans les couleurs disposées en aplats, la ligne d’horizon haute et le choix des motifs, qui donnent l’effet d’un véritable théâtre d’ombres.

Spécialisé dans les techniques d’impression, Eugène Delâtre a réalisé de nombreuses estampes selon des procédés semblables. On peut citer par exemple Etretat, la plage (1906), ou encore Cerf au bord de l’eau. Il a aussi été un dessinateur et un peintre de talent. Formé dans l’atelier de son père Auguste, dont il prit la direction en 1907, il a travaillé avec de nombreux peintres-graveurs dont Steinlen et Picasso, et a même été exposé chez le marchand d’Impressionnistes Durand-Ruel en 1898. Le fonds Delâtre du musée d’art et d’histoire Paul Eluard de Saint-Denis, constitué des œuvres d’Auguste et d’Eugène, ne conserve pas moins de 340 pièces, essentiellement léguées par Jacqueline Delâtre (fille d’Eugène), en 1971 et 1978.

Grand voyageur, Eugène Delâtre sillonnait également l’Île-de-France à la recherche de motifs pittoresques. Il a dessiné et gravé un ensemble varié de paysages de la région parisienne, de l’Île-Saint-Denis à Gennevilliers, en passant par Montmartre où il vivait.

 

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